
Il fait partie de ces rares producteurs de dubstep qui ont su traverser les âges sans renier leur style. “Jamais dans la tendance, toujours dans la bonne direction”, la maxime du groupe de rap français Scred connexion s’applique bien à Liam Mclean alias Joker. Depuis 2007, le Britannique basé à Bristol propose un dubstep au son reconnaissable entre mille. Un son façonné à grand renfort de synthés et de mélodies colorées, parfois nostalgique d’une époque où les claviers régnaient en maitre sur la funk et le hip-hop, dans les années 1980 et 1990. Un son qui, en même temps, utilise des basslines modernes et a su résister à l’épreuve du temps à l’image de “Tron”, sorti en 2010, ou “3K Lane” (2008), en collab avec Jakes. Son identité sonore et ses talents de producteur en ont séduit plus d’un et pas seulement au sein de la scène dubstep. À l’image de Skrillex mais aussi d’artistes grime comme JME et Sir Spyro ou même, plus inattendu, de chanteurs pop comme Jessie Ware et Zak Abel.
Le Bristolien était de passage à Paris au Nouveau Casino fin août, aux côtés d’une autre légende Caspa, à l’occasion de la 2ème édition de la soirée Rewind organisée par le crew Phase. On échangé avec le DJ qui n’était pas revenu dans la capitale française depuis plus de dix ans. Au menu, ses dernières actualités, sa passion pour le mastering et sa ville natale.

Salut Liam, merci de prendre le temps de répondre à mes questions. Qu’est-ce que tu as pensé de l’ambiance et du public de la soirée au Nouveau Casino ?
C’était un public cool. Mais les gens semblaient chauds pour des sons plus durs comme ce qu’a joué Caspa. Si ça n’avait tenu qu’à moi, j’aurais joué en premier, avant Caspa. Ça aurait été plus logique, je pense.
Mais malgré ça, il y avait une bonne ambiance.
Tu as fait ta première Boiler room au mois de juin en Espagne. Est-ce que tu penses qu’on peut parler d’une seule et même communauté dubstep dans le monde, ou bien tu trouves qu’il y a des publics bien différents selon les pays ?
Ce qu’il faut savoir avec la Boiler room de Barcelone, c’est que les gens ne sont pas spécialement venus pour écouter du dubstep ou du son à 140 BPM. C’était une soirée avec plein de genres divers. Ce n’est pas la même chose que lorsque le public vient uniquement pour du dubstep. Ceci dit, c’était vraiment sympa, mais c’est dur de comparer avec le public de Paris où les gens sont vraiment venus pour écouter du dubstep.
C’est difficile de répondre à cette question. Je pense que ça dépend de l’endroit où tu te trouves. La principale différence c’est que dans certaines parties du monde, les gens apprécient un dubstep plus agressif que ce que je joue. Le public peut changer aussi suivant la programmation, les promoteurs… Ça peut être une combinaison de plusieurs paramètres.

Parlons de ces dernières années et du fait que tu n’as rien sorti entre 2018 et 2023. Pourquoi as-tu pris cette pause ? Avais-tu perdu la motivation ?
Le confinement a commencé moins de deux ans après ma dernière sortie. Ça a beaucoup joué. Il fallait que je me réapproprie les choses, que je prenne un peu de temps pour moi, pour pratiquer à nouveau la musique. Il n'y a pas eu de perte de motivation. J'ai toujours réussi à écrire de la musique. C'est juste que je ne la sortais pas. Je voulais juste m'entraîner, m’améliorer les choses et aussi j'ai été très occupé à faire du mixage et du mastering.
C’est ce dont je voulais parler. Tu as travaillé en tant qu’ingénieur du son pour de nombreux artistes comme Hudson Mohawke, DJ Q ou encore Commodo. Tu as masterisé de nombreux albums. Depuis quand est-ce que tu fais ça ?
J’ai commencé il y a quelques années (NDLR : son premier album en tant qu’ingé son est sorti en 2020). C’est à ce moment-là que j'ai en quelque sorte arrêté de sortir de la musique. Je passais du temps sur l’aspect technique et je trouvais ça passionnant. J’aime jouer avec les EQ, les potards, ce genre de choses. Ce n'est pas forcément facile — bien au contraire — donc c'est quelque chose que je peux apporter aux gens qui ont du mal avec ça.
Quelles compétences ça t’apporte de faire du mastering ?
Cela ne m’a pas nécessairement apporté de nouvelles compétences parce que ce sont des choses que j’avais apprises et pratiquées au fil des années. Mais cela m’a permis de les travailler et de les renforcer.
En quoi un bon mastering peut-il faire la différence au niveau d’un morceau ?
Lorsque tu produis un morceau, tu peux avoir de bonnes idées au niveau de la mélodie, des motifs sonores et si, en plus, c’est bien masterisé, cela peut faire une énorme différence. La musique va sortir différemment des enceintes et tu vas t’en rendre compte.
C’est comme lorsque tu regardes un film. Il y a beaucoup de films qui ne sont pas de bonne qualité au niveau de l’image mais lorsque tu en regardes un bon, tu t’en rends compte. Ça te saute aux yeux et tu comprends aussi qu’il y a de l’argent qui a été investi dedans.

Parlons de ton retour à la production en 2023. Tu as sorti cette année-là “Tears” une monstrueuse collab avec Skrillex et Sleepnet, et je crois que tu es le premier producteur britannique issu de la première ère du dubstep (avant 2009) à faire un track avec l’Américain. Peux-tu nous raconter l’origine de cette collab ?
J’ai d’abord commencé le morceau avec Sleepnet qui est Nik de Noisia. Puis Sonny est passé à un moment donné dans son studio aux Pays-Bas, Nik lui a fait écouter des trucs sur lesquels il travaillait dont le track que je faisais avec lui. Sonny a flashé dessus et a dit à Nik qu’il voulait y participer. Et nous, on était partant, bien sûr.
Est-ce que vous vous êtes vus ?
Pas récemment. Nous nous sommes parlés au téléphone. C’est compliqué parce qu’on est toujours tous dans un endroit différent du globe. À moins qu’on soit ensemble au même concert, c’est assez difficile d'être au même endroit au même moment.
Ensuite, tu as sorti “Juggernaut”, “S Wave” et enfin “Elastic Band” en 2024. Je trouve que tes tracks, de manière générale, portent ta marque et sont très visuelles. Quel est ton processus créatif ?
Je n’en ai pas vraiment. Parfois, les choses arrivent au fil des ans. Par exemple, je peux reprendre une vieille idée dont je ne savais pas trop quoi faire sur le moment quelques années plus tôt. Parfois, les choses arrivent comme ça, d’un coup. Je ne sais pas vraiment pourquoi.
Choisis-tu les titres avant ou après avoir fini les morceaux ?
Des fois, mes morceaux n’ont aucun nom jusqu’à ce que je leur en donne un, mais pour Elastic Band, par exemple, il y a toujours eu le mot “Elastic” car le son que j’avais créé sonnait comme quelque chose d’élastique.
Musicalement, quelles sont tes sources d’inspiration ?
Je n’écoute jamais un seul genre de musique en particulier. Mes goûts changent au fil des ans et j’écoute des choses complètement différentes. Il y a plusieurs années, j’écoutais beaucoup de garage, de grime, du dubstep, du R&B, du hip-hop etc. Récemment, je me suis retrouvé à écouter beaucoup de vieilles musiques russes (rires).
Est-ce que Bristol, la ville où tu habites, t’inspire ?
J’aime ma ville. J'aime l'endroit où je vis. Mais c’est pas ce qui m’inspire particulièrement. Ce n’est pas comme si je regardais par la fenêtre et que je suis super inspiré pour faire une track (rires).
Selon toi, pourquoi Bristol est une ville qui a vu émerger tant d’artistes et de DJs ?
Je n’en ai aucune idée mais je peux essayer de le deviner. C’est suffisamment petit pour que ça ne soit pas complètement fou mais en même temps assez grand pour qu’on ait l’atmosphère d’une grande ville. Je ne sais pas, il y a définitivement quelque chose ici.
Pour l’anecdote, quand j'étais gamin, j’avais l’habitude de trainer dans les studios de Reprezent (NDLR : crew de Roni Size, vainqueur du Mercury Prize en 1997 avec l’album “New Forms”). Je pense que le fait de voir cela de mes propres yeux et de savoir que des gens de chez moi pouvaient faire cela, ça m’a fait comprendre que tout était possible.
Quoi de prévu prochainement ? Un album peut-être ?
Je suppose qu'à un moment donné, oui. Mais je ne sais pas quand, je n'essaie pas d’en écrire un mais peut être que ça viendra.
T’as prévu quoi pour ton morceau qui sonne gabber et qui retourne le public en soirée ? Tu comptes le sortir ?
J’ai le deuxième morceau qui doit aller avec mais il faut que je les finisse. Ça devrait sortir l’an prochain.
Pour la fin de l’interview, je voudrais te poser 3 questions rapides :
Peux-tu me citer 3 producteurs français de dubstep ?
Je ne connais que Von D…
Tu ne connais pas Samplifire par exemple ?
Il fait du son lourd non ? C’est pour ça que je ne le connais pas.
Maintenant, peux-tu me dire tes 3 tracks préférées que tu joues en ce moment dans tes sets ?
Ce sont des sons qui ne sont pas sortis mais mettons dedans :
3 tracks qu’il faut écouter selon toi ?
Merci à toi pour cette interview,
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